Quelques textes

BORDS DE LOIRE AU PRINTEMPS

Le fleuve tricote dʼune rive à lʼautre, un tissu dʼécume troué dʼoiseaux qui sʼen vont quelque part.

Sur une berge, une faune active et minuscule. Les bestioles vont et viennent, sʼentrecroisent, tissent une étrange étoffe. Des bestioles qui se lient et s’agitent, comme pour donner souffle à ce grand corps de dune.

Le ciel tramé gris-bleu métropolitain, comme un voile mouillé sur le courant de l’eau.
Odeur de la pluie en suspens ou dispersée dans les replis de la rive humide.

Vase douce et moelleuse au pied des herbes couchées. Couleur glauque, vert broussailles. Pulsions incessantes du fleuve. Petits cratères bosselés, caillasse parfois, alliance du tendre et du rugueux, de lʼarrondi et de lʼaigu.

Limace gluante collée sur une feuille pourrie de lʼhiver. Cris castagnettes d’une grenouille. Barque assommée sur le miroir de lʼeau. Étrange épave qui se dissout dans le temps mouillé du limon.
Jusquʼà lʼoubli du voyage.

– Lu, sur une musique de Eric Falière. CD en cours.


RÉVEIL MATIN

Les paupières battent cils à cils
Les portes s’ouvrent à demi
Toujours revient chaque matin
Abondent des rayons maintenant
Noires pupilles percées d’éclats flambants
Miroirs fragmentés de traits d’unions

Les paupières battent cils à cils
S’épousent un peu au feu matinal
Les embruns de la nuit s’effilochent
Image floutées embrouillées
Lumière cramoisie percute
Chuchote encore le peu d’illusions

Les paupières battent cils à cils
Portes ouvertes
Traces de songes fébriles
Oublie un passé immédiat
Pupilles allégées de réels impossibles
Il pleut sur les carreaux
La pâleur d’un oiseau dans la glaise mouillée

Les paupières plissées
Le brouillon de la nuit s’en va coucher ailleurs
Rêves volatiles confusions des visions
Les fragments opaques s’estompent
On s’épuise à vouloir les saisir
A vouloir retrouver ce qui n’existe plus

Les paupières légères
Les ombres en ont fini
Tu allumes la lumière
Il pleut sur les carreaux
Et c’est vraiment la pluie
L’oiseau a disparu

– Lecture, sur une musique de Eric Falière. CD en cours.


C’EST UN VOYAGE

C’est un voyage. Des ombres de passants ont surgi du désert. Un chien aboie qui déchire le silence.
On voudrait s’accouder au balcon des vestiges. On regarde la mer, on tait car le silence est criant d’inconnus.
C’est un voyage. Les profondeurs fourmillent de reliques insaisissables.
Des ombres sillonnent les dalles opaques et piétinent vivement les bouffées de tiédeurs.
On évoque la source.
C’est un voyage. On ouvre grand les yeux. On chantonne en silence des airs lointains d’avant qu’on soit.
Un chat grille son poil sur un sentier pétré.
On isole une forme, une image, la parcelle d’un présent que l’on voudrait toujours.
Et l’on pressent le chemin qui s’étire comme une mue lascive et suspendue.

Publié Revue Miroir, impulsée par Laura Vazquez, dirigée par Benjamin Milazzo
– Lecture, sur une musique de Eric Falière. CD en cours.


PEAUX

La preuve sur nos peaux du soleil assommant
Ta peau s’ombrait sous le soleil cuisant
Du vent qui assèche et assoiffe
Tu rêvais d’une pluie d’été
On voudrait se rouler dans un lit de bruyère tant il parait moelleux
Tu voulais t’allonger dans le creux des bruyères
Nos pieds dérapent et font chanter les pierres
Tu tapais dans les pierres qui barraient le chemin
Nos peaux sont piquetées d’aigus à force de croiser d’indélicates verdures
Et les herbes pointues qui griffonnaient ta peau
Nos cheveux agacent nos peaux quand le vent s’exaspère
Et tes cheveux dansaient agités par vent
Nos peaux transpirent et pissent par les pores
Tu voulais te baigner dans l’eau froide et salée
Nos peaux s’essoufflent
Tu regardais le ciel
Nos peaux craquelées rougies attendent la fraîcheur de la nuit
Tu rêvais d’une nuit
Ta peau cache un secret
Tu ne disais plus rien et ta peau rougissait
Ta peau, je la veux éclairée dans l’ombre d’un matin
Tu attendais le jour, tu fixais un détail
Ta peau c’est une histoire, plus qu’une histoire de peaux
Tu regardais ailleurs et tu disais toujours le même mot
Ta peau, nos peaux teintées
Tu brillais, éclatante douceur
Ta peau attend la couleur des orages quand le ciel est à l’infini
Tu attendais, tu aurais voulu des nuages
Nos peaux piquées d’épines et de ronces, on fera un détour
Tu broyais du noir en plein jour
Nos peaux bouillonnent et s’impatientent gribouillées de blessures
– Lecture, sur une musique de Eric Falière. CD en cours.


UN PEU DE RIEN
Rien ?
Je ne sais pas
Je n’en sais pas plus que toi
Et je ne vois pas comment ni pourquoi j’en saurais davantage
Je n’en sais rien, j’ai bien cru que parfois…
Mais parfois le pourquoi ne dit rien du comment
Et je ne sais pas pourquoi tu me demandes comment
Et c’est qui, et c’est quoi et c’est comment tout ça
Une forme confuse qui surgit d’un peut-être
Un fluide qui coule d’une pluie de vacance
Un vent de vide qui en dit long,
Un petit rien dont je ne sais pas comment ni pourquoi il est là
Et qui s’en va courir et mourir je ne sais où
Là où personne ne va car je ne sais pas comment
Et je ne saurais jamais ni de qui ni de quoi
Ni pourquoi je ne sais pas

Publié Revue Miroir, impulsée par Laura Vazquez, dirigée par Benjamin Milazzo
– Lecture, sur une musique de Eric Falière. CD en cours.


HUMEURS MARITIMES

Des rocs et des rocailles
Des angles acérés et des vagues poussives
De sauvages rochers à agresser le ciel
Des gouffres à obscurcir le plus profond de soi
Les oiseaux s’en balancent qu’un bateau ait coulé
Ou qu’un homme ait pleuré
Les oiseaux s’en balancent

L’humeur est maritime
L’humeur est sans idée, sans parole en silence
Pas d’ombre à l’horizon
Des rythmes palpitants invisibles et présents
Qui se dispersent au vent
Et la mer elle s’en fout d’avaler des vivants
Ou qu’un homme ait pleuré
La mer elle s’en balance

Des milliers d’infinis ondulés par le vent
De sensibles senteurs qu’on oubliera demain
Des matières visqueuses et du sable poli
Des bêtes agitées dont on ne sait le nom
Ça gigote et ça rampe,
Ça grouille et ça se meut
Qu’un homme perde pied, ça n’en a rien à faire
Ça n’en a rien à faire si un homme agonise ou qu’un autre ait pleuré

Le temps est au présent ça ne sait pas demain.

– Lecture, sur une musique de Eric Falière. CD en cours.


FRAGMENTS

Il faut toujours la prendre par la main pour ne pas qu’elle s’effondre
L’écouter se perdre dans l’enfance qui revient à grands coups de ratures
Et percevoir le brouillard de ses incertitudes
Elle se perd comme le petit Poucet dans une forêt de mots dont on peine à dérouler le sens
Il faut être caillou tout rond et délicat et l’aider à trouver un chemin
Et donc être là, pour ne pas qu’elle s’effondre.
Dans les yeux, sur le visage, ces signes de mélancolie dans le même caractère que ce qui s’écrivait il y a longtemps de cela.
Les rides ont raviné sa peau à force de vieillir et laissé des méandres dont on ignore la source.

Dans son lit, couché près d’elle, un petit chien en peluche qui caresse sa joue comme s’il était vivant, modèle chiffon d’un animal qu’elle a tellement aimé.
Dans la tête ça se mêle et s’emmêle, elle appelle ses parents, elle devient petite fille soucieuse et tourmentée. Elle a perdu son caractère d’enfants joyeux qui peuplaient son enfance.
Sur les mains, des rigoles de veines qui sillonnent la peau. Parfois, une contorsion involontaire, un mouvement machinal, le battement d’une mesure sans musique.
Et le regard craintif et peureux qui s’accroche obstinément à la vie pour ne pas s’effondrer.

Publié Revue Miroir, impulsée par Laura Vazquez, dirigée par Benjamin Milazzo


COURANT
Je marche de travers sur des branches troublées
L’eau pleure et s’en va chatouiller la caillasse
Elle est partie devant un jour de nuit
Elles sont parties d’ici, couraient sur la terre attendrie
Il pleure et veut revoir la source
Viens galoper, viens sauter
Les larmes n’ont pas peur, les yeux voient l’horizon fondu
Je marche de travers et les branches se moquent
Il court devant elle escalade nous sautons les fossés
Il pleure le guet rigole rigole
Elle en rigole


DES VIEUX
Il y a ceux regards obliques qui, trottoir foulé s’enfuient loin devant sans savoir où ils vont
Ceux qui, vertige oubli vont et viennent tortueux engourdis et pesant
Celle tournis de mots dans un cercle sans fin jusqu’au bout solitude
Celles les yeux dedans des années dissipées en brouillard
Celui bouche flétrie mouillée qui dévide des mots chahutés en tout sens
Ceux le cœur palpitant qui martèle la peau et qui rythme pourquoi
Celles qui vivront un temps dans l’ombre des vivants
Ceux qui prendront congé comme s’ils étaient de trop
Ceux du monde absents


PETIT BOUTON DE NACRE
Ce tout petit bouton de nacre, confetti coquillage minuscule et rond dans le creux de la main petit caillou ciselé finement on y voit presqu’un peu les reflets de la mer on regarde la mer on attend un bateau tu attends un bateau la mer est une frontière on s’y noie dans la mer étendue de rêveries souplesse des formes et lancinantes ondulations la mer ronge la ferraille. Infinie profondeur qui invite à la méditation qui entraîne les pensées vers des espaces obscurs et parfois réjouissants. Intouchable horizon troublantes larmes de sel puissance illimitée, lieu d’éclosion et de disparition, de foudre et de mélancolie, d’extase et de contemplation. Lieu des contraires et des extrêmes.
Je pense à ça mes yeux posés sur ce petit bouton de nacre.